Aux 398 étudiants qui n'ont pas eu la chance (ou le courage) d'assister à notre première séance de lecture, voici le texte que nous avons lu lundi dernier :
"Au
début, on ne lit pas. Au lever de la vie, à l’aurore des yeux. On avale la vie
par la bouche, par les mains, mais on ne tache pas encore ses yeux avec de
l’encre. Aux principes de la vie, aux sources premières, aux ruisselets de
l’enfance, on ne lit pas, on n’a pas l’idée de lire, de claquer derrière soi la
page d’un livre, la porte d’une phrase. Non c’est plus simple au début. Plus
fou peut-être. On est séparé de rien, par rien. On est dans un continent sans
vraies limites-et ce continent c’est vous, soi-même. Au début il y a les terres
immenses du jeu, les grandes prairies de l’invention, les fleuves des premiers
pas, et partout alentour l’océan de la mère, les vagues battantes de la voix
maternelle. Tout cela c’est vous, sans rupture, sans déchirure. Un espace
infini, aisément mesurable. Pas de livre là-dedans. Pas de place pour une
lecture, pour le deuil émerveillé de lire. D’ailleurs les enfants ne supportent
pas de voir la mère en train de lire. Ils lui arrachent le livre des mains,
réclament une présence entière, et non pas cette présence incertaine, corrompue
par le songe. La lecture entre bien plus tard dans l’enfance. Il faut d’abord
apprendre, et c’est comme une souffrance, les premiers temps de l’exil. On
apprend sa solitude lettre après lettre, le doigt sur le cœur, soulignant
chaque voyelle de sang rouge. Les parents sont contents de vous voir lire,
apprendre, souffrir. Ils ont toujours peur que leur enfant ne soit pas comme
les autres, qu’il n’arrive pas à avaler l’alphabet, à le déglutir dans des
phrases bien assises, bien droites, bien mâchées. C’est un mystère, la lecture.
Comment on y parvient, on ne sait pas."
C.
Bobin, Une petite robe de fête, 1994
(Rappel des horaires du club lecture : lundi, 12h30-13h30)
(Rappel des horaires du club lecture : lundi, 12h30-13h30)
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